Petite histoire rock de la contestation.
« Je veux juste jouer dans mon garage ». Entre cette citation de Mick Jones et Joe Strummer tirée du titre Garageland, jusqu’à l’étendard politique et porte-parole emblématique anti-Thatcher du rock anglais de la fin des années 70 et coincé dans ses histoires de contrats et de livres sterlings, qu’est devenu The Clash ? Toute l’ambivalence de la musique populaire et notamment du rock est ainsi résumée dans cette histoire somme toute banale d’un groupe confronté aux réalités de son temps.
Il est tentant et naturel pour tout individu ayant un tant soit peu la chance de profiter d’une scène, voire de l’oreille bienveillante de la presse, d’afficher ses opinions, sa volonté de combattre les injustices de s’opposer à un pouvoir liberticide quel qu’il soit. Dès lors comment concilier légèreté de l’écriture de chansons pops susceptibles de rencontrer le succès planétaire et conscience politique, sous-jacente ou affirmée. Comment accepter les compromis commerciaux et ses enjeux financiers avec intégrité, pertinence et crédibilité tout en évitant les pièges de la simplification contreproductive. Plus d’un s’est emmêlé les pinceaux ou a mis les doigts dans quelque engrenage sans trop s’en rendre compte.
Les stars, c’est un penchant naturel de leur condition, aiment à s’emparer des grandes causes. Leurs intentions sont certes louables et il est indéniablement utile de vouloir user de sa notoriété mondiale pour faire passer des messages. On l’a vu ces dernières années avec ces concerts Global Citizen Live pour la planète, avec des poids lourds de l’industrie musicale comme Elton John, Ed Sheeran et consorts comme à la grande époque du Live Aid de Bob Geldof. On a pareillement ressenti l’impact médiatique indéniable de ce clip tourné au Louvre par Beyoncé et Jay-Z en écho au mouvement Black Live Matters, tout comme l’avait été la réception de son album engagé Lemonade.
Rebel, rebel.
Sincérité ou bonne conscience, influence véritable ou dilution par simplification extrême ou lutte ultra consensuelle ?
Ces débats sont une constante si l’on regarde l’évolution du grand barnum de la musique au cours du 20ème siècle dans une sorte de grand écart permanent, qui produirait finalement ses effets à force de rabâchage et parviendrait même à diffuser quelques idées, éveiller ou sensibiliser quelques-uns… On aime en tout cas à le croire.
Dans ce vaste champ infini des causes à défendre les thématiques abordées sont majoritairement très localisées et destinées à une population ou un territoire précis. Ainsi l’histoire du rock et de la contestation politique inscrite dans notre mémoire est d’abord américaine : les oppositions à la guerre du Vietnam, au racisme endémique évidemment, sont des causes internes aux USA. Les chansons de Dylan, de Joan Baez, de Billie Holiday, de Peter Seeger ou Neil Young, de Springsteen s’adressent avant tout aux américains même si elles ont évidemment une portée internationale.
En demandant à un amateur lambda suivant aujourd’hui, de près ou de loin l’actualité musicale de citer des artistes susceptibles de revêtir le costume d’icône de la contestation politique, les Clash arrivent certainement dans le peloton de tête, en Europe surtout. Les deux Bob, Marley et Dylan, cela va de soi, sont à peu de choses près, présents sur le podium.
Bruce Springsteen fait inévitablement parti de la shortlist même s’il a pu souffrir d’une image contrariée en raison de quelques incompréhensions liées à son album Born in the USA (cf. Tangente#1). Mais aucun doute, dans son cas, on peut aller jusqu’à lui faire l’honneur d’une place à part tant il n’a eu de cesse tout au long de sa carrière de décrire et dénoncer les conditions des classes laborieuses américaines. Dans ses chansons et par ses actions et prises de positions, jusqu’à soutenir très concrètement les candidats démocrates. Et puis, lui-même très lucide sur son statut, a déclaré récemment lors d’entretiens avec Barak Obama, fan du boss : « Les chanteurs ont la mégalomanie de croire, tout comme les politiques, qu’on possède une voix qui mérite d’être entendue dans le monde entier ».
Dylan poète mythique presque retiré du monde médiatique depuis des lustres apparait encore sur les scènes de son Neverendingtour comme un hologramme, en distribuant depuis 40 ans ici et là avec parcimonie quelques mots, en récupérant au passage un prix Nobel de Littérature qu’il boudera plus ou moins. Bob Marley possède une aura intemporelle et intouchable même si quelques zones d’ombres pourraient venir la ternir.
Si on se penche sur le cas de figures de proues plus contemporaines comme, au hasard, Bono, c’est plus ambigu. Le chanteur charismatique de U2 a-t-il juste surfé sur une ou deux prises de positions sincères et n’a-t ’il pas ensuite poursuivi dans la voie du porte-parole des justes causes par facilité ou intérêt, dans une posture un tantinet mégalomaniaque. Il a eu avec U2 et ses titres War ou Sunday Bloody Sunday, le mérite de rendre visible à l’échelle du monde occidental les violences et absurdités de la guerre civile larvée en Irlande du Nord, de rassembler et de recueillir l’écoute de millions de fans. Bono, aujourd’hui ambassadeur de l’ONU prend toujours son rôle à cœur mais suscite constamment doutes, sarcasmes ou jalousies.
Certains se sont ainsi laissé piéger, ou manipuler par des causes qu’ils ne maîtrisaient pas. D’autres à leurs corps défendants ont pu endosser des costumes trop larges pour eux. Aujourd’hui qui se souvient du Live Aid de Bob Geldof, de ces concerts géants en mondiovisions comme on disait à l’époque, de cet enregistrement du We are the world de son assemblage de stars convaincues surjouant et avec au milieu de tout çà un Dylan effaré, effrayé ? Les disques finiront rapidement dans les bacs des brocanteurs par dizaines de milliers… Les populations des pays riches ont soudainement découvert, choqués par les images, les terribles famines en Afrique et se sont mobilisées grâce à ce Live Aid. Il eut sans nul doute le mérite d’exister, d’œuvrer en accélérateur d’une prise de conscience en dehors des marges et permis de lever des fonds d’urgence, mais sans jamais réellement remettre en cause les agissements et leurs conséquences de ces mêmes pays occidentaux dans ces régions dramatiquement sinistrées.
Back to the roots
Cela dit au-delà de ces considérations autour de nos vedettes préférées, et sans rejouer les épreuves de philo sur la fonction ou l’essence de l’art, depuis que l’humanité fait société, les artistes sont de toutes les luttes, sont les réceptacles et les caisses de résonnance, les traducteurs et les messagers de la contestation, de la critique politique.
Ont plus que contribué à l’émancipation et au progrès social, le théâtre, les bouffons du roi , les Jean De La fontaine , Molière, Shakespeare etc. En musique, la chanson, la petite ritournelle comme moyen d’expression politique, habile détournement ou appel à la révolte, est sans doute vieille comme le monde. La Marseillaise est l’un des premiers chants identifiés et utilisés à grande échelle comme symbole de ralliement pourfendeur d’un ordre injuste.
Il y eu toutefois un air mentionné dans le dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau nommé le Ranz des vaches et qui eut un effet terrible dans les rangs des soldats suisses au 18ème siècle.
Plus tard l’Internationale, Le temps des cerises, lié à jamais à la commune de Paris, le Chant des partisans en France, marqueront les esprits. Ces chansons sont si prégnantes dans l’imaginaire aujourd’hui qu’elles sont régulièrement reprises par les musiciens pop, non seulement en France mais par des artistes étrangers, en Angleterre et aux Etats Unis surtout.
L’histoire de le musique enregistrée au 20ème ne déroge donc pas à la règle. Les exemples de gestes symboliques fédérateurs d’un zeitgeist politique et faisant bouger les esprits sont légion. Et sont parfois réellement décisifs ou déclencheurs d’un sursaut, d’une évolution majeure : les prises de positions politiques de Bob Marley dans les élections en Jamaïque par exemple. La brève séquence de la contre-culture au mitan des années 60 fut sans doute un point culminant avant un long tunnel de désillusion ensuite perdues dans les drogues et les flatteries d’egos.
Mais bien avant, aux prémices d’un futur avènement commercial de la musique populaire on identifie un certain Joe Hill, syndicaliste dont la vie se termina prématurément par une exécution pour meurtre en 1915. Il était l’auteur de poèmes, d’ébauches de folksongs et a suscité de nombreuses vocations : pour Dylan qui chantera souvent ses textes mais aussi Peter Seeger, Phil Ochs, et Joan Baez, qui au plus fort de son concert à Wooodstock interprètera un morceau à son nom et en fera un symbole ultime de l’injustice régnant dans son pays. « I dreamed I saw Joe Hill last night, alive as you and me » soit « J’ai rêvé que j’ai vu Joe Hill la nuit passée, aussi vivant que vous et moi ».
Joan Baez dont l’un des plus grands tubes sera d’ailleurs une ballade inspirée d’un épisode fameux des luttes politiques et syndicales du milieu des années 20 avec les icones politiques Sacco et Vanzetti. The Ballad of Sacco and Vanzetti, titre écrit et arrangé par Ennio Morricone pour la B.O d’un film sur la vie des deux anarchistes, longtemps vus comme injustement accusés de meurtres et exécutés après un procès expéditif, bien qu’aujourd’hui on semble plutôt pencher pour la culpabilité réelle d’au moins l’un d’eux.
This machine kills facists.
Le mythe du poète brandissant sa guitare et composant contre l’oppresseur, quel(le) guitariste n’a pas rêvé au fin fonds de sa chambre d’incarner ce rôle une fois dans sa vie ? En tout cas Woodie Guthrie doit une grande partie de sa notoriété à cette phrase inscrite sur sa guitare en 1940. Il fut l’auteur de multiples et remarquables chansons engagées constituant une œuvre très pertinente en son temps qui a largement tracé la voie pour les artistes de l’après-guerre et en premier chef, pour toute la scène folk radicale qui se réunira autour du festival de Newport aux USA et dont Peter Seeger fut l’une des pierres angulaires.
Pendant ce temps-là et déjà avant-guerre, l’industrie musicale prend de l’ampleur et, conséquence, musèle ses artistes et édulcore le moindre propos. Les blueswomen revendicatives sur les droits et l’émancipation des femmes se font définitivement voler la vedette par des artistes hommes imposés par les labels avec des titres plus inoffensifs et vendeurs (cf Tangente#2).
La tornade rock des années 50 n’exprime guère que la joie de consommer sa jeunesse. Elvis Presley et la plupart des stars de l’époque, malgré des vies sulfureuses, ne protestent pas et exécutent sagement les préceptes de leurs managers qui comptent les liasses de dollars.
Utopia
Ce n’est donc pas encore l’heure de la révolte mais émergent déjà des mouvements rebelles comme les blousons noirs en France ou les bikers aux USA, phénomènes de bandes illustrés dans l’Equipée sauvage avec Marlon Brando. Ces mouvements revendiquent rock’n’roll et violence comme défiance face au vide de la vie de banlieue. « Le rock n roll est fait pour l’insurrection, le passage à l’acte. La référence constante au gaullisme propre sur soi, donneur de leçon et ses règles d’hygiène morale me fait gerber » déclare un blouson noir un soir au journal télévisé.
Ce sont les premiers soubresauts de ces années 60 où la jeunesse va renverser la table, en faire le temps des grandes utopies, des grands disques de pop engagés et des festivals louant la liberté et la fin des carcans moraux.
Les Crosby Still Nash and Young, Grateful Dead, ou Jefferson Airplanes entre pléthores d’autres planent sur ces aspirations et s’opposent violemment au pouvoir, à la guerre du Vietnam.
Du coté des droits civiques et du combat pour l’abolition de la ségrégation raciale la situation est très complexe. Les labels Stax ou Motown régnants sur le marché de la musique soul veulent à tout prix plaire au public blanc et brident leurs talentueux artistes.
Aretha Franklin avec Change et Respect, tubes mondiaux dans la lignée de Billie Holiday, Nina Simone, Miles Davis et James Brown, s’affirme. Elle montre si bien la voie qu’elle n’hésitera jamais à s’afficher et à soutenir les candidats démocrates jusqu’à l’élection de Barak Obama. Elle chanta pour l’investiture de ce dernier, qui ne manqua pas plus tard de déclarer qu’elle joua un rôle majeur dans l’arrivée d’un homme noir à la Maison Blanche. Un peu en marge à New York un groupe très militant commence à faire entendre sa voix et va avoir son importance dans la genèse du hip-hop : les Last Poets et leur spoken word. Mais Il faudra attendre le début des années 70 pour que deux grands disques rencontrent le succès, dont l’un pervertira la pop et les charts au grand désespoir, avant sa sortie, du patron de son label Berry Gordy. Le What’s Going On de Marvin Gaye dresse alors très subtilement un portrait évocateur de tout ce qui ne va pas aux Etats Unis. Ce disque aura un impact sur le long terme. Gil Scott-Heron en fera de même avec un premier album Small Talk at 125th and Lenox saisissant de vérité, longtemps source inspirante inépuisable sur les décennies suivantes. Public Enemy à la fin des années 80, The Coup au début des années 2000 ou Algiers plus récemment sauront faire honneur à leurs prédécesseurs.
Avant que le rap ne prenne définitivement la main, en 1991 Nirvana va faire trembler sur ses fondations l’édifice de la planète pop. Ce sera une déferlante même pour un disque, cri d’une jeunesse que l’on qualifie de génération X, rejetant massivement à travers les Smell like teen spirit ou Come as you are, le libéralisme cynique décomplexé et triomphant des années 80 de ses ainés. Kurt Cobain sera alors perçu par des dizaines de millions d’adolescents, et bien malgré lui, comme le symbole d’une génération en pleine désillusion prenant ses distances. 30 ans après Nevermind de Cobain reste plus que jamais présent dans les esprits. Des rappeurs comme Travis Scott, Tyler the Creator, Post Malone, Kid Cudi ou Denzel Curry n’hésitent pas à affirmer leur admiration ou en revendiquer l’héritage.
Ce succès peut être vu comme une prise de pouvoir, celle du rock indépendant, qui s’est déployé dans les marges, dans les années 80 à la suite notamment d’un MC5 bouillonnant et revendicatif en 1970. Et s’il a fait jaillir auprès du grand public ce mouvement DIY nommé par la presse grunge, on assite surtout au chant du cygne d’une histoire qui démarre au début de la précédente décennie. Sous l’influence de groupes rock et noise héritiers des Dead Kennedys, de leur California Uber Alles, hymne du gourou incontesté d’un courant musical révolutionnaire US et de toute la scène alternative américaine, Jello Biafra, des dizaines de formations de révoltés émergent. Les Black Flag, Minor Threat, Minutemen, en seront les piliers fondamentaux. Autre moment décisif : l’aventure de K Records, dont Kurt Cobain portait fièrement sur l’avant-bras le blason. Calvin Johnson, son groupe Beat Happening et son International Pop Underground Convention en 1991 à Olympia ont semé quantité de petites graines. On perçoit encore plus aujourd’hui, dans son sillage direct, la place fondatrice des Riot Grrls. Ce petit collectif punk DIY d’Olympia aussi, a encouragé les femmes à prendre en main leurs destins et leurs guitares autour des très actifs groupes Bikini Kill et Sleater Kinney. Ils ont rencontré un succès international certes underground mais ont gagné en popularité avec le temps et ces derniers se produisent en concert aujourd’hui en 2021 avec un certain succès.
Autour de Nirvana, des groupes comme Sonic Youth issus de l’underground des années 80, seront présents et actifs politiquement (Youth Against Fascism par exemple), Ani Di Franco. Un tas d’autres…
Ghost town.
Au Royaume-Uni en 2021, un groupe contemporain des Clash sort un album de reprises de protests songs incontournables du 20ème siècle. A la fin des années 70, The Specials incarnaient avec le single Ghost Town la résistance au Thatchérisme avec une subtilité qui aujourd’hui les rends encore parfaitement crédibles. Ils incarnent encore aujourd’hui un courant fort et écouté de revendications politiques.
En Massive Attack et la Wild Bunch figurent les successeurs légitimes de ces groupes de la génération punk. Pragmatiques, rigoureux dans leur approche, inflexibles, reconnus pour leur activisme dans les quartiers pauvres de Bristol dont ils sont issus. Massive Attack a porté sur les festivals du monde entier une parole très politique et radicale, construite sur le temps long, de la censure de son 1er album aux concerts constellés de messages et slogans militants, contre la guerre en Irak ou sur l’état de la planète.
On peut cependant s’interroger sur les conséquences de ces tournées mondiales armées de quantité de matériel et d’artistes accompagnés d’un staff de 120 personnes.
Le groupe Radiohead s’y est aussi testé, a voulu montrer l’exemple avec ses tournées éco compatibles en essayant de diminuer son empreinte carbone. Sans trop faire illusion malheureusement…
Anarchy in the UK.
Quel que soit la période, il y a toujours eu en Angleterre des titres politiquement ou socialement provocateurs trustant les premières places des charts, aujourd’hui Slowthai, dans les années 70-80 les Sex Pistols, les Smiths (The Queen is dead), …
Et dans cette lignée d’artistes : il parait tout naturel de citer Billy Bragg, baladin profondément marqué politiquement qui a connu un succès d’estime et des singles classés dans les charts dans les années 80 et 90 et qui jouit encore d’une popularité certaine outre-manche.
Dans son sillage de nombreux mouvements, collectifs et communautés ont fait de la musique dans le but clairement avoué d’en faire juste un vecteur pour l’expression, la propagation d’idées, voire d’utopies très radicales, ce qu’ont bien compris des mouvements violents come les skinheads au Royaume-Uni mais aussi en France et ailleurs. Des groupuscules et artistes évoluent alors en dessous des radars, réfractaires, sans concessions sur leurs prises de position sociétales essentielles, sur des enjeux locaux, ou pour une cause très identifiée. Dans ces marges c’est à foison que les groupes et les communautés en rébellion, activistes de terrain se comptent dans les années 70 et 80. Crass et Poison Girl en sont les emblématiques représentants. Chumbawamba, venant des mêmes marges arnacho-punk rencontra brièvement le succès avec un tube international Tubthumping, et a même participé à de nombreux festivals pop un peu partout dans le monde. Il a survécu jusqu’au début des années 2010.
Dans l’électro naissante des années 90, les artistes portant déjà un discours alarmiste sur le futur de notre planète sont nombreux. Héritiers des utopies des années 60 et des phénomènes comme les travellers, leur sensibilité écologique et sociale est significative. Citons les incontournables Spiral Tribes, les activistes de Future Sound of London (cf Tangente#5)…
Douce France.
En 1985 dans les cours des collèges et lycées de France, tout le monde chante « la jeunesse emmerde le front national ». Peut-on dire que Bérurier Noir fut un digne rejeton de Brigitte Fontaine ou de Colette Magny ? Cette dernière porta en tout cas un discours puissant révolutionnaire et de révolte, de tous les combats des années 60, anticolonialiste, féministe, et dérangeant pour les médias jusqu’à la fin de sa vie. Un peu plus tard Carte de Séjour secoue le Top 50 et crée l’émoi parmi nos élites avec Douce France de Charles Trénet.
En matière de radicalité et jusqu’au boutisme même, on ne peut omettre de mentionner les cultissimes Camera Silens. Ce groupe bordelais sévit au début des années 80 et aurait pu connaitre un destin à la Noir Désir, collègues de bureau et rival local du Bordeaux du début des années 80. Trop intègre ou trop défoncé et chaotique pour réellement y songer, le parcours du groupe aux revendications politiques dures conduit l’un de ses membres à qui la musique ne suffisait pas, au passage à l’acte. Il fréquentera des milieux interlopes, n’hésitants pas à commettre divers larcins avant de participer à un braquage retentissant. Après la clandestinité et l’exil pour destin pendant 30 ans, il finira par se rendre à la justice française en 2016 pour écoper de 5 ans de prison. Avec sursis.
Black President
A contrario de ce nihilisme, à travers le monde des artistes perspicaces, à l’engagement politique simple, spontané et profond pour la démocratie et les conditions de vie des populations, ont laissé des traces indélébiles.
En Australie Beds are Burning enflamma les charts mondiaux. Ce titre des sydneysiders de Midnight Oil et l’un des premiers hits planétaires abordant ouvertement les problématiques environnementales. Il doit beaucoup à son charismatique, chanteur Peter Garret qui prolongera son engagement jusqu’à devenir ministre de l’environnement entre 2007 et 2010.
Le rôle du mouvement tropicaliste au Brésil fut lui prépondérant dans la lutte contre la dictature militaire instaurée après le coup d’état en 1964, en donnant un écho à la répression impitoyable dans leur pays au-delà des frontières. Le mouvement né en 1967 s’inspirant du psychédélisme autour de Tom Zè, Caetano Veloso, Gilberto Gil et Os Mutantes dénoncera, soutiendra la résistance au régime militaire. L’album Tropicàlia est le manifeste fondateur du mouvement. Certains de ses membres comme Gilberto Gil seront emprisonnés. Celui-ci deviendra Ministre de La Culture sous la présidence de Lula pendant plusieurs années.
Fela Kuti au Nigeria était surnommé le Black President. Révélateur de son engagement viscéral contre un pouvoir corrompu et dictatorial et après sa rencontre avec des membres des Black Panthers, il ne cessera de lutter tout au long des années 70, avec son groupe et sa musique en porte-voix. Fela créant même une république indépendante qui n’était autre que son studio et sa grande maison accueillante érigée en refuge pour les contestataires. Il ira jusqu’à fonder son propre parti politique. Au début des années 80, il se présentera aux élections. Sa tentative était vouée à l’échec face au pouvoir en place mais sa popularité, son culte était tel, qu’à sa mort en 1997, la dictature militaire ordonna un deuil national de 4 jours.
La pop au Cambodge, le rap en Palestine, la scène métal et rap, clandestine en Iran, le rock et le métal en URSS durant les années précédant à la chute de l’empire, le radicalisme provocateur des activistes de Pussy Riots en Russie sous Poutine et à la résonnance mondiale bien au-delà des sphères : d’autres histoires par dizaines, plus singulières les unes que les autres rempliraient des livres.
Hong Kong Stars
Récemment les ultra-stars coréennes BTS ont lancé des messages appuyés pour la liberté d’expression, notamment adressés aux militants pro-démocratie de Hong Kong. Le sont-ils par opportunisme commercial, téléguidés par des stratégies géopolitiques et des enjeux économiques ? Très possible dans le cas de ces astronomiques pourvoyeurs de devises à la Corée du Sud.
On y revient donc : la pop, le rock, comme chambre d’écho formidable pour les revendications quelles que soient la légitimité, la récupération ou les réelles convictions profondes de ses protagonistes. L’impact des prises de paroles et des moindres faits et gestes de ces rois de la k-pop est en tout cas considérable et massif auprès d’un public jeune et influençable mais aussi très actif et rodé sur les réseaux sociaux. La BTS army, c’est son petit nom, a fait parler d’elle lors de la campagne présidentielle aux USA, en transformant les meetings de Trump au Texas, en bides monumentaux grâce aux actions coordonnées de ses adeptes.
Ce que Rage Against the Machine ou Bono n’ont fait qu’effleurer, la communauté de fans de k-pop à travers cet activisme concret, dans un genre de syncrétisme d’effluves pop et de jeunesse militante, à partir de tik tok et d’une pop édulcorée affranchie comme porte étendard assumé de la balance commerciale d’un pays, y parviendrait-elle ?
La sélection de 40 pochettes de disques :
d.b.s. / Anti-Flag - North America Sucks !!
Barbara Dane
Ani Di Franco
Bérurier Noir
Bikini Kill
Billie Holiday
Black Flag
Bob Dylan
Camera Silens
Chumbawamba
Colette Magny
Crass
Crosby, Stills, Nash and Young
Daboor & Shabjdeed
Dead Kennedys
Fela Kuti
Gil Scott-Heron
Joan Baez
Joe Hill
Laibach
Marvin Gaye
MC5
Midnight Oil
Minor Threat
Peter Seeger
Phil Ochs
Poison Girls
Public Enemy
Billy Bragg
Minutemen
Rage Against the Machine
Slowthai
The Clash
The Last Poets
The Radio Dept.
The Smiths
The Wailers
The Coup
Caetano Veloso, Os Mutantes et Tom Zé
U2
Underground Resistance
Woody Guthrie
Buffy Sainte-Marie