Sans Nico que serait devenu le velvet ?
Cette petite provocation facile ne trouvera jamais de réponse irréfutable évidemment, mais peut pourtant nous engager à envisager sous un autre angle cette histoire linéaire du rock qu’on nous sert habituellement, d’en explorer les tréfonds, de sortir des limbes la genèse de cette musique qui nous trotte quotidiennement dans la tête depuis bientôt un siècle…
Ainsi si quelques musiciennes et chanteuses sont connues, reconnues et quelquefois en sont les stars absolues jusqu’à la caricature, d’autres, innombrables, sont restées dans l’ombre ou se sont trouvées effacées des manuels d’histoires par un système qui n’a voulu leur laisser pour place qu’un strapontin bienveillant…
Good old times
Cette sélection de 40 pochettes (en bas de page) essentiellement consacrée à la musique dites populaire, est centrée autour au rock’n’roll, de ses ancêtres et de sa descendance jusqu’à ses évolutions les plus pertinentes en ce début de XXIème siècle. Mais quelques destins de femmes du XIXème siècle méritent qu’on s’y attarde, car révélateurs pour (souvent) le pire et (parfois) le meilleur de ce que seront ensuite pour les femmes les fondements du développement marchand et industriel de la musique.
Jouer de la musique n’était pas l’apanage des hommes au XVIIème et XVIIIème siècles. Savoir en jouer faisait partie de la panoplie indispensable de la femme d’abord dans l’aristocratie, puis dans la haute bourgeoisie mais exclusivement dans le cadre de la sphère privée. On considérât rapidement malgré des talents évidents qu’elles ne devaient pas en faire commerce.
Ainsi, Clara Schumann : si elle n’est pas totalement inconnue aujourd’hui, n’est que rarement associée aux grands noms de la musique classique du XIXème. Quand on prononce le nom de Schumann, on pense à Robert, son époux. Mais à l’époque, elle fut pourtant très célèbre et considérée comme un génie par ses pairs comme Mendelssohn, Paganini ou Chopin. Elle écrivit de multiples œuvres majeures, fit courir les foules à ses concerts. Et puis, elle rencontra son futur mari, abandonna la musique, pour se plonger comme il se doit dans la vie de famille, aida Robert, qui la jalousait, à accéder à la postérité. A la mort de celui-ci, elle retrouvera un peu de splendeur en prenant sous son aile et en propulsant la carrière d’un jeune compositeur du nom de Brahms…
Autre destin symptomatique et annonciateur des comportements et attitudes qui fabriqueront les légendes des célébrités, leur grandeur et leur décadence : celui de Alma Malher.
En cette fin de XIXème début du XXème siècle, on est encore loin des premières épopées du rock’n’roll. A Paris, Londres, Berlin, on se prosterne devant un totem du nom de Beethoven, personnage incarnant à lui seul le nouveau statut du compositeur dans la société. Il a complètement transformé le rapport à la musique en Europe. Ses partitions sont vendues en nombre, son visage est connu, c’est une star. Et beaucoup veulent accéder à la même gloire. Les rivalités cantonnées précédemment aux cours et alcôves de l’aristocratie se multiplient.
Dans la foisonnante Vienne intellectuelle et artistique, les balbutiements d’une révolution musicale voire même d’un futur star-system sont donc à l’œuvre. Comme le décrira Adorno, les mécanismes qui se développeront de façon accélérée et qui prévaudront dès le début du XXème siècle, se mettent en place avec l’arrivée de la technologie, les enregistrements, les moyens de diffusion et de production. Les compositeurs entrent en compétition, on construit des salles pour accueillir le public friand et de plus en plus massif, même s’il ne concerne qu’une élite bourgeoise. On y produit des formations de plus en plus conséquentes dans des salles de plus en plus grandes… Et le quatuor devient orchestre symphonique pléthorique afin de s’adapter à la demande...
A partir de la deuxième moitié du XVIIIème, on veut du spectacle, les egos s‘affirment, la critique se répand, la presse surenchérit, se fait féroce, on défend les prodiges nationaux : des hommes. Exclusivement… Forcément : les Mahler, les Schönberg…
Et pourtant l’épouse de l’une de ces stars va personnifier dans l’ombre ce que seront plus tard les Madonna, Beyoncé, Patti Smith ou Courtney Love, la femme dans la musique : la sorcière, la sulfureuse héroïne, la scandaleuse, la poétesse maudite, la femme éplorée, l’intrigante ou l’ombre fatale qui jalonnera l’histoire de la pop tout au long du XXème siècle et jusqu’à aujourd’hui.
Alma Mahler, femme du très respectable et prestigieux compositeur et chef d’orchestre, s’efface d’un commun accord avec son mari derrière la carrière de celui-ci. Elle compose des lieder, peint mais ne retient dès lors guère l’attention. Elle côtoie depuis son adolescence le monde artistique, à une amourette avec Klimt et rêve de gloire. A la mort de Mahler, elle fréquente assidument les artistes, et devient entre autres conquêtes la femme de Walter Gropius (le futur fondateur du Bauhaus), maitresse du peintre Oskar Kokoschka et du romancier Franz Werfel. Elle se veut la muse de tout ce petit monde et derrière un tempérament tour à tour excentrique ou dépressif mais aussi indépendant, énergique, passionné, narcissique, elle se rêve faiseuse de roi, manipule et arrive à ses fins en se trouvant au centre de l’attention. Elle fuit à travers l’Europe avant l’arrivée des nazis et, après la guerre, elle s’exile définitivement aux USA, d’abord à Los Angeles où elle acquiert le même statut qu’en Europe. Elle y est surnommée la « veuve des quatre arts » puis file à New-York, devient l’égérie de la communauté intellectuelle et artistique, conseille Léonard Bernstein entre autres, continue d’avoir une vie agitée et commentée. Elle restera dans l’imaginaire comme cette « star », cette femme puissante et redoutée du show biz, qui pourrait être le modèle lointain d’une Madonna, d’une Beyoncé ou d’une Victoria Beckham…
Print the legend…
L’histoire nous le répète à l’envie : le blues sera consacré au début des années 30 grâce à Robert Johnston lors de sa fameuse rencontre avec le diable à la croisée de 2 routes…
Soit ... Sauf qu’en réalité depuis déjà le début des années 20 ce blues était déjà porté par des personnages comme Mamie Smith, Ma Rainey, Bessie Smith avec un propos autrement plus subversif et revendicatif et au comportement disons-le "punk" avant l’heure. Elles remplissaient les salles, vendaient des disques par camions et étaient de véritables célébrités avant que leur histoire soit progressivement gommée….
Quinze ans avant Robert Johnston, Mamie Smith enchaîne les blues aux revendications féministes, enregistre le premier blues afro américain, Et Ma Rainey s’affirme comme une femme libre au discours subversif, en dénonçant le machisme, les violences conjugales, défendant l’homosexualité, la différence des genres. Elle mène une vie transgressive et dissolue que ne renierait ni Cardi B ni Miley Cyrus. Avec le même tempérament sulfureux et des titres au caractère sexuel sans ambiguïté Bessie Smith de son côté vend 700000 exemplaires de son premier 45t Down Hearted Blues et sera l’artiste noire la mieux payée de son époque.
Les artistes féminines de blues sont d’ailleurs légions et dominent quasi exclusivement le marché du disque entre 1920 et 1927.
Les producteurs, financeurs, diffuseurs, critiques et programmateurs, eux sont des hommes. L’arrivée des artistes masculins à partir de 1929, va redéfinir la teneur des textes. Ceux-ci vont se transformer en histoires d’amours larmoyantes, alcoolisées et ratées Les revendications féministes disparaissent pour partir à la conquête d’un public plus large…
Cette histoire du blues naissant et de ses extravagantes interprètes possède aussi l’air de rien quelques similitudes avec celle d’une personnalité forte et hors du commun de ce côté-ci de l’Atlantique : une certaine Jeanne Bourgeois connue sous le nom de Mistinguett, présente sur les planches des 1894 en compagnie de son amant Maurice Chevalier, au destin épique d’espionne amoureuse, devient l’idole des parisiens au début du XXème siècle. Bientôt son aura traversera l’Atlantique à tel point que son titre Mon homme, chanson blues à la française de 1920 sera reprise par Billie Holiday. Mistinguett deviendra célèbre entre 2 guerres aux Etats Unis dans les cabarets et revues de Music-Hall...
Vont bientôt accéder à la postérité cette Billie Holiday, sa vie erratique, ses boires et déboires, puis plus tard Nina Simone. Mais les thématiques féministes s’effacent parfois derrière celles tragiques du racisme endémique dans le pays (Billie Holiday tête d’affiche des soirées devait entrer par la porte de service réservée aux noirs) ou plus existentielles pour Nina Simone.
Pionnières
Bis repetita, quelques années plus tard avec la véritable naissance du Rock’n’roll. Elvis le King, règne, on peut évoquer du bout des lèvres Bill Haley, d’autres légendes, mais qui connait aujourd’hui Sister Rosetta Tharpe ou Big Mamma Thornton ?
Ce sont tout simplement de réelles pionnières, admirées par leurs pairs masculins comme Little Richard, Muddy Waters ou Elvis Presley, populaires jusque dans les années 60 au Royaume-Uni notamment, mais tombées dans l’oubli ensuite.
Si Erline Harris, à 17 ans, en 1949 signe le 1er titre comportant le terme ‘rock’n’roll’, Sister Rosetta Tharpe, the Godmother of rock ‘n’roll, par le style musical, l’utilisation des solos de guitare et le comportement sur scène en dessine les contours. Elle est la première à ajouter de la guitare électrique au gospel, ce qui choque à l’époque. Un peu comme le fera Bob Dylan branchant sa guitare lors du fameux festival folk de Newport. Elle enregistre un titre nommé Rock me...
Big Mama Thornton, elle, fut en 1952, numéro 1 des charts pendant 7 semaines avec le titre Houndog, manifeste féministe, et 1er morceau que les musicologues ont qualifié d’authentique rock‘n’roll. Elvis Presley rependra le titre en 1956 en édulcorant nettement les paroles, pour en faire un hymne adressé aux teenagers dragueurs de drive-in. Il en vend en quelque mois 5 millions d’exemplaires. Le rock’n’roll est désormais en pleine lumière… bye bye Rosetta et Big Mama.
A la même époque, Maybelle Carter prend son indépendance vis à vis de la Carter Family et se fait connaitre avec son fameux jeu de picking venu des Appalaches. Il imprégnera quasiment toutes les ramifications de la musique populaire américaine ensuite. Des aventurières comme Bonnie ‘guitare’ Buckingham et Ella Mac Horse vont creuser les sillons des fusions entre les genres country rhythm’n’blues et rock’n’roll. Les producteurs dans l’ombre observent.
Globalement le même schéma que pour les débuts du blues, implacable, se reproduit : un effacement (une censure ?) des revendications et des affirmations féminines. Avec un facteur supplémentaire l’avènement d’une nouvelle classe d’âge, la jeunesse, en tant que cible de consommation qui va s’approprier pleinement cette nouvelle musique. Et pour vendre des disques à cette jeunesse, il faut bien entendu lisser le discours et le rendre le plus accessible possible.
Wanda Jackson, peu farouche, insoumise et contestataire sur la condition féminine est, avant Elvis, the first lady of rockabilly, la reine du Rock’n’roll dont le 1er titre, la propulse, encore mineure, au firmament des nouvelles idoles de la jeunesse alors que le futur King pointe à peine le bout de son nez. Celui-ci, comme ses camarades Carl Perkins ou Jerry Lee Lewis s’inspire et redoute beaucoup celle qui l’accompagne en tournée. En 1954, elle remporte autant de succès que lui, mais Elvis finit par prendre l’ascendant auprès du public. Cependant les jeunes adolescentes américaines s’identifient pour la première fois à une chanteuse de leur génération. Wanda ne résiste pas à la pression, se laisse embarquer par les producteurs et polisse ses chansons pour plaire au plus grand nombre et rentre dans le rang. Wanda Jackson est réapparue en 2011 auprès de Jack White...
D’autres pionnières telles que Janis Martin aussi surnommée "the female Elvis" de manière pour le moins péjorative et condescendante, et Brenda Lee, talentueuse et en pleine ascension, se trouveront barrées par leur grossesse... On ne les reverra quasiment plus. Parallèlement on considère que la première chanson rock est l’œuvre d’une française, Magalie Noêl avec Fais-moi mal Johnny.
A la fin des années 50, le statut des femmes n’évolue qu’au rythme de la tortue. Les artistes féminines restent largement en dessous des radars. Le développement commercial de la pop culture nécessite encore plus une édulcoration de propos trop en décalage avec la morale et le conformisme. Les titres doivent avant tout refléter les affres de banales histoires d’amours adolescentes déçues.
Un autre détail est révélateur de la place des femmes : sur les pochettes de disques souvent n’apparaissent, pour les hommes, que leur visage en gros plan. Pour les femmes c’est le corps en entier, plus ou moins dévêtue avec les poses suggestives de circonstances, alimentant les fantasmes des jeunes hommes. Seul Elvis, dont le fameux déhanché, symbole de virilité faisait au minimum chavirer les filles, et exploser les salles de concerts se retrouve exposé de la même façon. Mais là aussi, petit détail : il a tout piqué à ...une femme, l’une de ses conquêtes, une certaine Tura Satana, qui le lui a enseigné…
Strapontins
Les premières années des années 60 voient enfin prendre forme une timide évolution. Les femmes dans les pays anglo-saxons commencent à accéder à quelques strapontins, et à obtenir un peu d’autonomie.
On n’en est pas encore là avec les très populaires et très consensuels "Girls group" inspirés des artistes femmes de Broadway dans les années 20. Elles sont les instruments de producteurs comme le control-freak Phil Spector et son incroyable "wall of sound" ou Berry Gordy de la Motown. Des castings de chanteuses interchangeables enregistrent à la chaine des tubes dont quelques-uns sont des classiques absolus (Be my Baby, Stop in the name of love…). Ces chanteuses sont surtout considérées comme des comètes corvéables à merci qui ne feront que rarement carrière au-delà de quelques tubes hormis Diana Ross qui a su ne pas plier.
En parallèle, Florence Greenberg réussit à se faire une place au soleil, en créant son label. Productrice quittant son statut de femme au foyer à 45 ans, elle propulsera les Shirelles en tête du billboard. Ce sera le premier groupe afro-américain à y parvenir. Ce succès est aussi celui de Carole King, auteure compositrice talentueuse et prolifique qui obtiendra ensuite un succès considérable avec son album très personnel Tapestry au début des années 70.
Enfin dès 1962 on commence à voir émerger ce qu’on appelle (c’est tout nouveau pour l’époque) des "all female band", soit des groupes entièrement composés de musiciennes (sous la forme de quatuor pop rock guitare, basse, batterie, chant) alors qu’elles n’étaient précédemment cantonnées qu’au chant ou au rang de faire valoir. Les Shangri-las sont les premières à connaitre plus qu’un succès d’estime tout d’abord aux USA puis en Europe. Elles s’habillent de combinaisons de cuir noir, chantent la gloire du chef de meute (le tube The leader of the pack). En 1966, moins dociles, elles sont les premières depuis la guerre à faire entrer un titre qui évoque frontalement le viol.
Au même moment, les Beatles se retrouvent soudainement devant des hordes de fans hystériques Mais sur leurs deux premiers albums, ils reprennent quantité de titres d’artistes féminines. L’influence d’Elvis puis des Rolling Stones qui érotisent le rock ((I can’t get now) satisfaction) ne remet toutefois rien en cause de la domination masculine, mais elle participe de la libération sexuelle de toute une génération qui explosera dès la deuxième partie des années 60. Et par la même offre aux jeunes femmes la possibilité de s’exprimer ouvertement de la même manière que les hommes. Le rock se noie malgré tout rapidement dans un conformisme musical et tend vers le mainstream. Il faudra attendre la fin de la décennie pour commencer à voir apparaitre des groupes rocks féminins underground et féministes revendiqués, radicaux et militants comme Ace of Cups.
Empowerment
Au mitan des années 60 du côté des afro-américaines émergent quelques fortes personnalités, aux côtés de l’incontournable Aretha Franklin et son fracassant Respect. Des artistes comme Nina Simone bien sûr, Rusty Warren, Roberta Flack, Etta James portent haut les couleurs des femmes et des revendications, pas seulement féminines. Elles interrogent aussi le racisme de l’Amérique au moment où la lutte pour les droits civiques s’organise.
Odetta, symbolise cette lutte des droits civiques et de l’émancipation féminine. Elle chante l’un de ses morceaux phares lors de la grande marche de Washington en 1963, va participer au festival de Newport. Elle ouvre ainsi une autre voie moins perceptible que la pop, aux frontières du blues, de la country, du jazz et de la folk music, avec des songwriteuses subtiles à l’instar de Joan Baez. Cette dernière au caractère et à l’indépendance affirmée, n’a plus peur de s’affranchir des codes en vigueur.
Joan Baez va contribuer à conscientiser, politiser, et mettre du relief, de la poésie dans ses aspirations. Au passage elle chaperonne en ce sens Bob Dylan. Elle montera seule sur scène devant les gigantesques foules dans les plus grands festivals dont le point d’orgue sera Woodstock en 69.
Ces "folkeuses" prendront de plus en plus d’importance montrant le chemin et créant des vocations multiples autour de personnalités très fortes et farouchement libres. Elles provoquent enfin un basculement définitif vers une véritable scène féminine exprimant la parole des femmes et plus largement l’évolution des mœurs. Brigitte Fontaine, virulente interprète, perce en France et aura un rayonnement international.
Comme pour les autres domaines de la société, rien n’est gagné mais désormais les femmes font partie du paysage musical. Elles n’ont plus peur, l’industrie commence à croire en elles. Joni Mitchell, Marianne Faithfull, construisent des carrières, Nancy Sinatra, Helen Reddy, chacune dans son style suivent le mouvement.
Décomplexées
Pendant que sur la côte ouest, Jim Morrison lance qu’il n’y a pas de place pour les filles dans un groupe de rock, la contreculture hippie, à la fin des années 60, fait son œuvre. Pour les femmes, en musique la donne change enfin sur beaucoup de choses. Elles sont notamment moins soumises aux impératifs de la beauté plastique.
Mama Cass des Mamas & the Papas est une figure du mouvement hippie. Elle se moque, dans ses paroles, de son physique. Janis Joplin, au tempérament de feu se comporte comme les plus déjantés de ses comparses masculins sans se soucier de son apparence ni des conséquences heureuses et malheureuses de la vie de rock star.
Ces filles sont ouvertement les leaders de leurs groupes qu’elles mènent à la baguette aux sommets des hit-parades.
Grace Slick, aux commandes, elle aussi, devient un modèle de rébellion contre le rôle assigné de belle jeune fille devenue top model et embarque le Jefferson Airplane, son groupe, jusqu’au statut de fer de lance de la contre-culture.
Les propos évoluent, ces femmes adoptent une nouvelle posture et refusent de genrer la musique et de ne parler que de revendications féministes. C’est un nouveau tournant et un progrès pour beaucoup de musiciennes pour leur acceptation.
La prodigieuse batteuse du Velvet Underground, Maureen Tucker se construit en marge, une vraie respectabilité auprès de ses pairs. Tout comme un personnage de l’ombre du nom de Carole Kay. Bien qu’on puisse aussi avoir une pensée pour Viola Smith, décédée en octobre 2020 à l’âge de 107 ans, première grande batteuse professionnelle à la carrière très riche, Carole Kay, guitariste et bassiste hors-pair, fut membre du célèbre "wrecking crew" (une équipe de musiciens de studios). Elle participe à toutes les aventures musicales, des années 60 aux années 80 (que ce soit pour le Good Vibrations des Beach Boys, pour les divas souls, les girls group, Zappa, Ray Charles ou Barbara Streisand. Elle exerçait encore au début des années 2010 et compte plus de 10 000 enregistrements.
Il existe par ailleurs des parcours singuliers et aventureux tout au long du XXème siècle, sur des pentes musicales plus expérimentales et obscures, mais tout aussi important comme ceux d’Eliane Radigue ou Clara Rockmore, actrices majeures dans l’évolution de la musique électroniques dès les années 50 et 60. Clara Rockmore deviendra la grande vulgarisatrice et virtuose du thérémine qui va infuser dès les années 50 dans tous les films de SF et d’horreur. Films que regarderont assidûment à la télévision les futurs bricoleurs de l’électro. Son jeu mélodique et poignant impressionnera quantité de musiciens et groupes qui produiront des œuvres majeures comme le Deserter’s song de Mercury Rev.
Citons aussi Wendy Carlos, transgenre assumé et ses albums indispensables de musique électronique.
Rock on.
Vont s’engouffrer tous azimut des groupes de "rockeuses", à destination d’un public plutôt masculin mais avec un discours relativement rebelle, du moins en apparence, en adoptant les vies de rockstar de leurs homologues masculins, en tournée, sur scène et sur disque. Elles font partie du paysage et n’effraient plus vraiment.
Suzi Quatro et ses hymnes glam montrent la voie. Que vont habilement prendre les Runaways de Joan Jett (auteure de l’hymne I love Rock’n’roll) et Cherry Curry autour du producteur Kim Fowley. Les Runaways chantent en 76 I wanna be there the boy are... Ces femmes jouent les bad girls et tendent de plus en plus vers le heavy rock. Arrivent sur ces traces des stars de la radio, Pat Benatar, Linda Rondstad.
Ces artistes vont cependant se retrouver rapidement piégées dans un middle rock FM à vocation commerciale, au propos artistique peu pertinent et a l’intérêt déclinant au milieu des années 70. Aujourd’hui seuls quelques titres ont encore un semblant de notoriété.
Deux personnalités aux trajectoires opposées surnagent et deviennent les plus grandes vendeuses de disques des années 70.
Vêtue d’une jupe froissée, d’un châle, de mitaines, Stevie Nicks intimidante et éminente membre de Fleetwood Mac, mit en scène sa vie et ses excès en tous genres. Prenant le pouvoir au sein du quatuor, elle produisit des chansons intemporelles pour beaucoup d’américains mais eu un impact aussi en Europe, avec deux albums considérés comme des chef d’œuvre du folk-rock US. Son apparence vestimentaire très étudiée fit courir des rumeurs sur son appartenance aux WICCA, secte inspirée par la mythologie médiévale, la sorcellerie, ses pratiques déviantes et à la sexualité libérée.
Paul McCartney déclara un jour que Karen Carpenter fut la plus grande chanteuse de l’histoire de la musique. Elle qui fut aussi une batteuse douée, incarna l’opposition parfaite à l’ère flower power et psychédélique finissante. Elle était dans l’imaginaire, à son corps défendant, l’Amérique middle-class conservatrice, blanche et réactionnaire et déjà nostalgique des suburbs. Le succès des Carpenters fut immense et les ondes furent envahies de ces tubes sirupeux et rassurants pour un pays en plein doute, entre scandale du Watergate et enlisement dans la guerre du Vietnam. Pourtant dans cette voix fascinante, on sent la fragilité et l’angoisse. Sous le vernis se joue le drame intime de la petite fille pop décorative trop écrasée par la pression et un destin trop grand pour elle. Dans les années 90, la fine fleur de l’indie rock (Sonic Youth, Grant Lee Bufffalo, Sheryl Crow) lui rendra hommage sur un magnifique album de reprises If I were a Carpenter.
Women have the power.
Sous l’influence des rockeuses des débuts seventies, mais dans les marges, une nouvelle génération prend subitement le pouvoir dans le sillage et même à l’avant-garde du punk naissant.
Car l’étendard qui rassemble tout le monde derrière elle se nomme Patti Smith. Elle brandie de manière vivifiante dans ses textes des revendications sociales, s’insurge littéralement contre le sexisme, le racisme. Entourée d’un groupe composé d’hommes et avec son album Horses elle est considérée comme la "mère du punk" et suscite de nombreuses vocations aussi bien auprès des femmes que des hommes.
La vague punk comprend sa cohorte conséquente de groupes féminins aux propos crus, provocateurs qui remuent l’establishment notamment en Angleterre. Les Slits et leur penchant tribal apparaissent fièrement quasi nues sur la pochette de leur 1er album en signe de liberté assumée. Siouxsie et ses Banshees lors d’une interview télé laisse se dévoiler un aspect peu reluisant du célèbre présentateur… X Ray Spex et son cinglant Oh Bondage ! Up yours (la servitude ça suffit), Poison Ivy, au sein des sulfureux Cramps, peu reconnue à sa juste valeur de guitariste s’affranchit de toutes les règles sur scène.
Les questions raciales et de genres, sont récurrentes avec ces artistes. De puissantes femmes comme Debbie Harry, mais aussi la plus radicale Lydia Lunch, et sa hargne inédite qui repousse toute limite, ou la médiatique Nina Hagen en Allemagne s’adressent aux jeunes filles de façon extrêmement virulente pour dénoncer le machisme, les préjugés, le harcèlement sexuel… Le punk permet à Chrissie Hynde et ses Pretenders, d’être la première à évoquer franchement la maternité et le rôle de mère.au foyer dans une chanson rock.
La présence des femmes est dans les années 80 désormais avérée. Kate Bush, Annie Lennox, Suzanne Vega ou Sade sont dépositaires de l‘héritage punk mais en 1992, une prestation de Sinead O Connor au Saturday Night Live marquera un arrêt brutal des propos trop progressistes ou encore trop subversifs. Elle dénonce en direct, à la surprise générale, l’hypocrisie, la pédophilie au sein de l’église et déchire une photo du Pape Jean Paul II. Le scandale est immense.
Mainstream
C’est le moment où, dans une société capitaliste, la consommation de masse est triomphante au sein de la pop culture, que Madonna apparait comme l’archétype de la star féminine pour les décennies qui vont suivre. Elle fait ses classes dans les marges punk et disco de New-York, sachant user de la provocation avant d’obtenir le statut de superstar planétaire. Elle ouvre ainsi une autoroute ambiguë pour des années 90 entre sincérité surjouée et marketing… Elle précède le succès de Britney Spears, des Spice Girls (le fameux "girl power" des années 90), de Mariah Carey ou de Shakira, toutes avec des aspirations musicales relativement superficielles, plus ou moins aux mains de producteurs peu scrupuleux, et portant un féminisme intéressé, tout en assumant une hyper sexualisation du corps comme jamais auparavant.
Riot Grrrl - Féminisme, punk et indie rock fin de siècle.
On tourne en rond. Heureusement, 70 ans après les débuts des blueswoman, en 1991 et à l’ombre d’idoles féminines sans aspérités trustant les charts, un mouvement DIY, du nom de "Riot Grrrl"s veut relancer un esprit rendant "le punk plus féministe et le féminisme plus punk". Ce groupuscule éphémère finalement se révèle avec le recul comme vital car il a essaimé et autorisé l’émergence d’une nouvelle génération de musiciennes autour de Bikini Kill, Sleater Kinney. Il inspire de futures icônes indie-rock à l’histoire mouvementée et essentielle comme Pj Harvey, Courtney Love, The Breeders, Kim Gordon ou L7 qui se verront plus ou moins associées à ce mouvement.
Les Riot Grrls ont redonné un coup d’accélérateur à l’évolution de la place des femmes. Elles seront pareillement incitatrices dans le contexte américain, du "Freedom for choice" au sujet du droit à l’avortement…
Dans cette lignée, une autre figure aura une grande influence sur des nouvelles esthétiques plus récentes et longtemps inaccessibles aux femmes comme l’électro et le rap. Björk baignée toute petite dans des communautés hippies va aiguiller les jeunes filles vers les machines… Presque au même moment et dans la même communauté artistique Neneh Cherry se crée une place de choix entre influences, rap soul, musiques africaines et électro dans le sillage du militantisme global de Massive Attack.
En hip-hop c’est compliqué, encore plus que dans la soul, avec des rappeurs glorifiant la virilité, la violence, les filles et l’argent facile mis en scène à longueur de clips, mais Queen Latifah et Miss Dynamite prouveront qu’on peut tenir tête à ces sulfureux machos et développer un ton moins vide de sens, plus politique, revendicatif et féministe militant.
Dans la parfaite lignée des Riot Grrls, au milieu des années 2000, une dénommée Beth Ditto parvient a résumé 30 ans de rock féminin de Mama Cass à Pj Harvey et Björk en passant par Patti Smith et se reconnait comme l’épicentre de la parole des femmes. Avec The Gossip, au succès mondial retentissant, elle porte aussi l’affirmation de l’acceptation du corps, la question du genre, des normes sexuelles et des aspirations légitimes.
The New Normal
Malgré une régression du nombre d’artistes solo féminin dans les charts, un nombre conséquent de femmes obtient un succès significatif, notamment en rock, en opposition à l’hypersexualisation et l’outrance des surenchères provocatrices de Rihanna, Beyoncé ou Lady Gaga, même si ces dernières parviennent à glisser une dose de féminisme auprès des jeunes adolescentes.
Des filiations se sont tissées tout au long des années 90 et 2000 jusqu’à aujourd’hui. Depuis quelques années on voit l’éclosion d’artiste émancipées, libres, et indépendantes, avec une notoriété certaine, comme Aldous Harding, Angel Olsen, Weyes Blood, Sharon Von Etten, Adrianne Lenker… On ne les compte plus…
Un festival espagnol mondialement renommé, le "Primavera Sound" baptise sa programmation avec le nom "The New Normal" pour signifier la présence de ces artistes femmes dans la programmation à égalité avec les hommes.
Pareillement, cette indépendance se retrouve dans les musiques électroniques ces dernières années avec l’arrivée de dj stars (on ne parle heureusement plus de djettes) comme Paula Temple, Miss Kittin, Nina Kravitz, Helena Hauff, Black Madonna. Dans les domaines les plus avant-gardistes des artistes africaines comme Deena Abdelwahed et Fatoumata Diawara sont désormais incontournables.
La sélection de 40 pochettes de disques :
Ma Rainey
Bessie Smith - Empress of the blues
Sister Rosetta Tharpe - Gospel Train
Billie Holiday - Lady in satin
Peggy Lee - Fever
Wanda Jackson
Nina Simone - At town hall
Joan Baez
Ike & Tina Turner - River Deep Mountain High
Aretha Franklin
Jefferson Airplane - Surrealistic pillow
Nico - Chelsea girl
Brigitte Fontaine - Comme à la radio
Carole King - Tapestry
Joni Mitchell - Blue
Janis Joplin - Pearl
Helen Reddy - I am a woman
Patti Smith - Horses
Suzi Quatro - Suzi Quatro
Clara Rockmore - Theremin
Fleetwood Mac - Rumours
The Runaways
Blondie - Parallel Lines
Marianne Faithfull - Broken english
Siouxsie & the banshees - The Scream
The Slits - Cut
Lydia Lunch - Queen of Siam
Neneh Cherry - Raw like sushi
Queen Latifah - All hail the queen
PJ Harvey - Dry
Bikini Kill - Huggy Bear
Hole - Libe through this
Sleater Kinney - Call the doctor
Missy Elliott - Supa Dupa Fly
Peaches - The teache of peaches
Amy Whinehouse - Back to Black
The Gossip - Standing in the way of control
Aldous Harding - Designer
Angel Olsen - All Mirors
Weyes Blood - Titanic Rising