Frànçois Marry est un artiste plein de ressources :
il a choisi pour son concert à Hydrophone de jouer son répertoire avec Bostgehio, quatre chanteuses polyphoniques basques, passionnées, envoutantes.
Un très beau format qui promet un concert intimiste à souhait, rare et suspendu dans le temps.
Un nouvel album "Banane Bleue"
C’est un album d’errance et de souvenirs. Un voyage dans l’espace, l’amour et le temps. Depuis Solide Mirage, cinquième album de Frànçois and the Atlas Mountains sorti en 2017, François Marry a bougé. Vers le XIXème siècle et Les Fleurs du Mal, de Baudelaire, dont il a mis huit poèmes en musique. Vers Essaouira, où il s’est initié à la transe des gnawa. Puis en Europe où il a rassemblé images et mélodies. « J’adore cet état, très onirique et ouvert. Cette sensation d’un champ des possibles, qui permet de se délester pour faire entrer le vide et l’inconnu, des saveurs nouvelles et inattendues. »
Banane Bleue est un disque nomade, né entre Berlin, Athènes et Paris, dans des ateliers loués pour quelques jours, sur des instruments parfois empruntés : « j’ai voulu éviter les lieux traditionnellement destinés à la musique, recréer ces poches d’inspiration que les artistes européens savent inventer. » Frànçois and the Atlas Mountains a toujours été un groupe à géométrie variable : cette fois, c’est seul que François a conçu le disque, ou presque, épaulé par le finlandais Jaakko Eino Kalevi, auteur de trois beaux albums de pop élégante et synthétique, à la production. Et par Renaud Letang, complice de Feist, Gonzales ou Connan Mockasin, au mix.
Les premières collaborations entre Jaakko et François, à Berlin, ont eu lieu quasiment sans parler : le premier habille à l’instinct ce que le second pioche dans son répertoire de chansons. Certaines, comme Julie, Holly Golightly ou Golden Lips, datent de l’époque où François vivait à Bristol, et brillent des réminiscences d’une pop typiquement britannique, entraînante et faussement insouciante. D’autres sont toutes récentes, comme l’hypnotique Par le passé, dont les nuées de claviers ont été enregistrés au MABA, à Nogent-Sur Marne, résidence d’artistes jouxtant une galerie d’art et un EHPAD : « je suis toujours pris dans un dilemme entre la musique contemplative que j’écoute, et le milieu pop dans lequel j’évolue. Je voulais jouer avec des arpèges à la Steve Reich, des ricochets de notes de piano et un vibraphone qui s’enroule autour de tout cela. Les rythmes sont tellement cycliques qu’on ne sait pas trop si on va vers l’avant ou vers l’arrière : un peu comme si l’on remontait le temps. »
Le temps, et l’espace : le superbe The Foreigner, qui ouvre l’album, a été écrit pendant un voyage Interail, quand François avait 18 ans. A la douceur d’un oud et d’un déploiement de cordes viennent se mêler ces expressions que tout le monde connaît : « kalispera » (« bonsoir », en grec), « vivaa hilta » (« bon anniversaire », en finnois), « E pericoloso sporgersi » (« il est dangereux de se pencher », en italien). Des mots qui résonnent comme des mélodies dans notre inconscient collectif. Et dont il n’est pas nécessaire de connaître le sens pour les faire rouler sur sa langue, comme autant de bonbons exotiques qui émaillent un territoire commun, culturel et amoureux. « Je me suis souvent demandé ce qu’aurait été mon histoire relationnelle si j’étais né sur un autre continent. Notre idée de l’amour, qui vient des XVIII et XIXème siècles, est incrustée dans les murs et les parfums des villes, les cafés, les bars et les soirées, les vacances à deux, les week-ends dans une capitale. Comme s’il y avait un parfum romantique dans l’électricité européenne. » Un maillage affectif qui s’incarne dans cette « banane bleue » que dessinent les grandes cités européennes, de Liverpool à Milan, et dont les limites, à force de se rejoindre, se sont entremêlées pour former une immense mégalopole. Le concept géographique, théorisé dans les années 80, a ressurgi comme un vieux souvenir de lycée pour François. Qui l’a ensuite poétisé, imaginant une forme luminescente que l’on apercevrait depuis l’espace. « E Volo Love, en 2011, était un album solaire. Piano Ombre, celui des forêts, et Solide Mirage celui des villes. Banane Bleue, c’est l’air électrique. » Quelque chose de vibrant et d’impalpable qui nous entoure et nous relie. Elude parfois ce qui trouble l’Europe, ses eaux qui montent et où certains se noient, sa terre qui se réchauffe et ses artistes aux abois, ses égarements politiques. Une onde nous baigne dans un confort que l’on tient pour acquis, ponctué de décharges subites.
Car le badinage de Banane Bleue est tout sauf tranquille. Partout, c’est de rendez-vous manqués, d’incompréhensions et de malentendus dont il est question. « Comme si le libéralisme européen s’était appliqué à l’amour. Avec un brassage relationnel intense et des licenciements affectifs très courants. » En ont surgi des morceaux tels que le remuant Tourne Autour, parade amoureuse sur claviers ludiques, ponctuée d’une explosions d’atomes électroniques. Revu, retrouvailles imprévues avec un amant « aux poings serrés et la bouche cousue ». Dans un Taxi, rêverie suspendue entre folk et blues, ombrée par des nuées de claviers évoquant Bowie période Berlin. Ou ce Coucou presque californien, qui pose, sur une basse moelleuse et des guitares radieuses, le point final d’une liaison étiolée : « je déteste ce mot, « coucou ». Il exprime pour moi une forme de naïveté douceâtre, un peu fausse. Et devient d’autant plus absurde quand il vient de quelqu’un qu’on a follement aimé. » Pas d’amertume pour autant : Banane Bleue s’inscrit dans une écriture intemporelle et moderne, qui emprunte aussi bien à de grands voyageurs comme le Leonard Cohen de I’m Your Man (sur la pochette duquel figurait également une banane) ou Gorillaz, dont les mélodies évidentes, parées d’ornements venus d’ailleurs, ont sublimé notre époque mondialisée. Ensemble, François et Jaakko ont joué sur le contrepoint d’une pop allègre, volontairement légère, pour ramener vers la lumière les amours naufragées. « Une manière de retomber sur ses pattes, avec un petit pas de danse. » Et d’apporter une note d’espoir. Comme sur les harmonies sereines de Leeann et Lucy, un couple de surfeuses se laissant porter par la même vague dans le soleil couchant. Un sourire qui balaie la mélancolie dans l’immensité de l’océan. Une errance marquée de souvenirs heureux. Une banane bleue.
Bostgehio
Venues de Bulgarie, ces sœurs ukrainiennes, naturalisées basques, "polyphonisent fémininement" pour le plus grand plaisir des oreilles. Ensemble, elles entonnent des chants traditionnels du monde entier : Pays basque, Russie, Bulgarie et d’autres encore.
Les filles de Bostgehio ont participé aux disques de Frànçois depuis le début du projet il y a 10 ans. Elles chantent sur plusieurs titres des albums précédents et l’une d’elle est désormais claviériste du groupe.
Avec : Laura Etchegoyhen, Manon Irigoyen, Alexa Dulin, Pauline Lafitte.